Le Fil rouge, un spectacle en hommage aux combattantes
Comédienne et musicienne aux origines italiennes et algérienne mêlées, Elisa Biagi a écrit et interprète un spectacle en hommage à sa grand-mère, à son grand père, en hommage aux femmes. Elisa Biagi est la petite fille de Nna Nouara et d’Abdelhafidh Yaha, dit Si Lhafid. C’est dire le poids de l’héritage.
Ce dialogue entre une grand-mère et sa petite fille, raconte les luttes des femmes, celles qui ont combattu et celles qui combattent toujours une guerre, qu’elle soit intérieure ou extérieure. Ce dialogue est tissé tel un fil rouge, « parce qu’il faut dire les choses pour que plus jamais ça. » Le poète Benmohamed a vu le spectacle en avant-première. Sa réaction ne cache rien de l’émotion ressentie (voir encadré ci-dessous).
Mis en scène par Anaïs Caroff, écrit et interprété par Elisa Biagi, Le Fil rouge est un monologue où deux personnages partagent le plateau : Elisa, jeune fille de 22 ans, italo-algérienne, née et élevée à Rome, installée depuis peu dans la confusion parisienne et Nouara, algérienne de 24 ans, qui a survécu à huit années de guerre de libération et de révolution. Les deux femmes transportent le spectateur dans le passé, entre amour, rage et courage. Entre guerre extérieure et intérieure. Parce ce que ce combat de femmes ne finit jamais, un fil rouge relie les deux jeunes filles qui appartiennent, en apparence, à deux générations éloignées ; en apparence seulement car elles ont beaucoup à apprendre l’une de l’autre, et beaucoup en partage. La petite fille et sa grand-mère se retrouvent face à elles-mêmes, comme en miroir.
Car ce spectacle est inspiré par l’histoire personnelle d’Elisa Biagi, en particulier par celle de sa famille maternelle. Elle y raconte aussi le parcours de son grand-père, Abdelhafidh Yaha, le fameux Si Lhafid, symbole de la révolution algérienne, officier de l’Armée de Libération Nationale pendant la guerre d’Algérie et un des pères fondateurs du Front des Forces Socialistes. Pour Elisa Biagi, ce texte est un passage nécessaire pour s’approprier « un héritage personnel » et « rendre hommage à cet homme qui avait toujours lutté pour son pays et qui portait un amour immense à sa famille ». C’est en relisant les mémoires de Si Lhafid qu’elle se rend « compte de l’hommage qu’il rendait constamment aux femmes actrices de cette révolution. Il m’a semblé alors évident que je devais donner la parole à ces femmes et en particulier à ma grand-mère. Cette femme qui a été comme beaucoup d’autres une protagoniste incontournable ». Armé des mémoires de son grand-père mais aussi des mots et de la poésie de sa grand-mère, Elisa Biagi s’est imprégnée de l’histoire familiale pour pouvoir relever le défi. Mettre en lumière, à travers la figure de Nouara, « le rôle de la femme dans toute guerre », questionner la place et le rôle de la femme dans toute société, scruter l’histoire d’un schéma qui se reproduit et, « dire les choses pour que plus jamais ça » – en pensant à ces enfants et petits-enfants à qui les histoires n’ont pas été racontées, les souffrances n’ont pas été dites, la honte a recouvert tous les souvenirs. Elisa Biagi dédie son Fil rouge à sa grand-mère et à son grand-père, « qui n’ont pas eu honte » dit-elle, seule façon de briser le cycle des douleurs.
Le spectacle utilise les codes du théâtre mais aussi ceux du cinéma (notamment pas l’usage de la rétroprojection), joue de lumières pour installer les différents lieux de la Kabylie, des costumes pour accompagner la transformation de Nouara, des sons et des musiques en guise de narration et d’illustration des tensions émotionnelles, entre bataille et bourreau, tendresse et complicité. Costumes, objets, tissus, chants doivent beaucoup à la créativité des femmes du village Ait Atsou en Kabylie, le village d’Elisa Biagi et de sa famille.
Dans Le Matin, du 13 février dernier, Elisa Biagi évoque ses doutes : « Parfois, je pense que j’ai vraiment peur de ne pas être à la hauteur des valeurs qui caractérisent mes grands-parents : le respect, l’amour, la bonté d’âme, la lutte pour la liberté toujours et partout ».
Elisa Biagi ne doit pas en douter : elle est à la hauteur de l’héritage et de son défi.
Le Fil Rouge. Création d’Elisa Biagi et Anaïs Caroff. Musique et bruitage de Laurie-Anne Polo. Costumes de Farida Nait Chabane et Samira Hamou.
Théâtre Pixel, 18 rue Championnet 75018.
Vendredi 24 mai à 19H
Réservation ►
Benmohamed :
« Je suis de ceux auxquels cette pièce a arraché des larmes »
« J’ai eu le grand plaisir et l’immense privilège d’être invité à l’une des premières représentations de ce « Fil rouge » tissé par Elisa Biagi. Je suis de ceux auxquels cette pièce a arraché des larmes par la force de son texte mais aussi par la qualité de l’interprétation et de la mise en scène. On glisse insensiblement de la scène théâtrale au cœur de la guerre d’Algérie, les questions qu’elle suscite et les leçons de vie qu’elle révèle avec tout ce qu’elles ont d’humain et d’inhumain.
Un autre aspect de ce travail a vivement suscité mon intérêt. En effet, à l’ère de la domination des nouvelles technologies et d’un grand manque d’intérêt pour l’histoire et autres sciences humaines, au moment où la grande majorité se contente d’un savoir approximatif et d’une information souvent manipulée tout en considérant que le patrimoine de la mémoire est périmé, Elisa est allée se mettre à l’écoute de ses grands-parents qui sont de vrais modèles de lutte pour la liberté et la dignité humaine. »