LE PRINTEMPS DES LIBERTÉS

Le mardi 16 avril 2024, l’Association de culture berbère de Paris donnera le coup d’envoi de la première édition du Printemps des libertés. Ce Printemps 2024 des libertés est organisé en partenariat avec de nombreuses structures (associations, commerces, maisons d’édition…), de personnalités diverses, avec le soutien actif de la Mairie du XXe arrondissement et de l’Espace Carré de Baudoin.
Au programme : cinéma, documentaires, littérature, musiques, exposition, conférences, débats… tous les rendez-vous sont gratuits.
Cette première édition sera marquée, très symboliquement, le 20 avril par l’inauguration du Square Idir en présence de Tanina Cheriet, sa fille, de Tarik Aït Hamou, son fidèle guitariste et des responsables de l’Association d’Aït Yani, le village de celui qui était devenu « l’ambassadeur » de la chanson kabyle. La cérémonie sera présidée par une ou un représentant de la Mairie de Paris et par M. Eric Pliez, le maire du XXe arrondissement.

Le Printemps des libertés est né d’une idée : mettre au cœur des commémorations des Printemps berbères, celui d’avril 80 mais aussi, celui dramatique d’avril 2001, les aspirations, les luttes et les résistances des peuples qui ne réclament rien d’autres, décidément, que le droit de vivre libre et heureux.
Liberté se dit tilleli en berbère. Il se dit aussi Svoboda en ukrainien. Azadi en kurde ou en persan, il se dit houriya en arabe, azatut’yun en arménien, hɔrɔnya en bambara, etc., sa déclinaison pourrait emprunter la route des alévis, des rohingyas, des ouïghours, mais aussi celui des femmes, des libres penseurs, des persécutés… Partout, il est question de libertés : liberté culturelle, liberté démocratique, liberté individuelle, liberté des femmes, liberté de vivre dans la dignité et le bien-être – incluant désormais le droit à une justice environnementale.
 « Je suis un être humain : rien de ce qui est humain ne m’est étranger » écrivait déjà un berbère romanisé du IIe siècle avant JC. Le poète Térence incitait ainsi à la responsabilité, à l’engagement et la solidarité. Nous y sommes ! Dans le brouillard des incertitudes (migratoires, environnementales, démocratiques, guerrières…) perce comme un rêve : l’avenir sera nécessairement solidaire et c’est ensemble qu’il faudra écrire comment réaliser et habiter un « monde commun ». « Rêve » se dit « targit » en kabyle, « Targit » l’une des plus belles chansons interprétées par Idir*.

Les contours de ce monde commun se forment dans l’œuvre des artistes. Déjà, les mobilisations citoyennes, pacifiques, démocratiques et bien sûr culturelles du Printemps berbère et du Printemps noir, étaient comme portées par un même souffle, pensées, mises en mots et en musiques par ceux que Kateb Yacine appelait « les maquisards de la chanson ». Chanteurs, poètes romanciers, artistes, cinéastes, acteurs et actrices, peintres, penseurs de toutes disciplines, en un mot l’art, ne cessent de féconder les imaginaires, d’ouvrir le chemin des possibles.
Pour la génération d’avril 80, la culture constitue le fondement de toute évolution démocratique, une « lumière d’horizon » comme l’a écrit l’une des figures du mouvement. En Algérie, et ailleurs dans la région, ailleurs dans le monde. En France aussi, où la culture, dans sa diversité, est l’antidote aux discours d’exclusion et de haine.
Rendez-vous culturel et artistique, le Printemps des libertés veut aider à faire société, et à faire société autrement. La liberté se construit avec l’Autre, dans la relation et la résonnance. L’être libre est celui qui ne se détourne pas de la responsabilité du monde dans lequel il habite : plutôt que de n’obéir qu’à lui-même, il a le souci de relier et d’arpenter les pentes d’un chemin de savoir et de culture. C’est très exactement les paroles de la chanson Tiɣri bbwegdud, écrite par le poète Benmohamed et interprétée par Idir. En 1980, répondant à une vilénie d’un journaliste aux ordres, l’écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri rappelait que la culture berbère est « une des “composantes” de la culture algérienne, elle contribue à l’enrichir, à la diversifier, et à ce titre je tiens (comme vous devriez le faire avec moi) non seulement à la maintenir, mais à la développer. »  

Aider à « maintenir » la culture berbère telle est l’ambition du Printemps des libertés : faire découvrir des peuples, des patrimoines artistiques, des usages et des valeurs méconnus ou ignorés. Quand ils ne sont pas menacés. La culture berbère est l’un des plus vieux patrimoines de la Méditerranée, un patrimoine transfrontière, nord-africain qui unit les peuples par-delà les divisions nationales savamment entretenues. Ce Printemps des libertés sera comme un voyage, une découverte de ces Berbères ou Amazighs, à travers leurs musiques, leurs chants, leurs danses, leurs œuvres littéraires, cinématographiques, théâtrales. Leurs personnalités aussi, à commencer par la figure tutélaire de cette première édition, le chanteur Idir.
Il faudra aussi, dans la lignée de l’affirmation exprimée par Mouloud Mammeri, contribuer à « développer » cette culture. A une démarche patrimoniale, nécessaire mais parfois répétitive ou folklorisante, il s’agit aussi d’en traduire le souffle, la modernité, la créativité, ici et maintenant.
Quarante-quatre ans après les mots de Mouloud Mammeri, Syqlone, jeune artiste amazighe franco-marocaine, déclare que « l’enjeu majeur c’est d’imaginer un futur avec ces cultures amazighes », avant d’affirmer qu’« Amazigh, c’est une idée politique. C’est une idée de la liberté** ». Comme un printemps toujours recommencé.

Voir le préprogramme ici

* Sur des paroles d’Ameziane Kezzar, enregistrée en 2013 dans l’album Adrar inu, elle résonne comme un lointain écho à Tiɣri bbwegdud (L’Appel du peuple), chanson écrite par Ben Mohamed et enregistrée en 1976 dans le premier et fameux album A vava inu va : « Tout peuple a besoin de liberté / Toute liberté a besoin de respect / Tout respect a besoin d’union / Toute union a besoin d’intelligence ».

** Voir le documentaire « Ne les appelez pas “berbères” : Les femmes qui réinventent la culture Amazigh »,  de Hajar Ouahbi. Tracks, ARTE 2024 (il sera diffusé à l’ACB le dimanche 21 avril à partir de 11h00)