Nous le savions malade depuis très longtemps et pourtant tous espéraient sa guérison.
A Nancy, nous n’avons pas dérogé à une règle : produire Idir à peine l’association l’ACB54 créée. C’était en 1994, dans l’une des salles les plus en vue de la ville : la « Salle Poirel ». Son message de l’époque ? « L’Algérie est en proie à une guerre civile, islamisme, terrorisme, chars, balles… mais la démocratie triomphera ! Pas le choix car de tous les systèmes politiques, c’est sans aucun doute le moins mauvais ». ;Ensuite, il est revenu se produire à nos côtés plusieurs fois : à la sortie de l’album Identités, à Yennayer et encore récemment en 2016. Le spectacle le plus marquant pour nous Nancéiens a été celui donné au Zénith de Nancy en 2003.
Devant près de 2000 personnes, il était sur scène aux côtés de Rachid Arhab, Daniel Prévost et Enrico Macias. Ce jour-là, à Nancy et partout ailleurs, il était cette star mondiale qui avait, très tôt dans sa carrière, choisi de quitter le confort d’être seul à composer, à écrire et à interpréter des chansons. Il est allé vers les autres artistes, d’horizons a priori éloignés du sien : l’écossaise Matheson, le breton Stivell, l’israélienne Noa, l’ougandais Oryema, le Zoulou Clegg…
Mais tout cela n’est rien à côté du bonheur tout simple d’une rencontre impromptue à jamais gravée : Un soir d’hiver très enneigé comme nous en connaissons ici en Lorraine, un séminaire de notre fédération (la C.A.B.I.L) réunissait, dans un chalet vosgien, l’ACB Nancy, l’Association de Montpellier, les amis de Lille, de Marseille, du Val d’Oise et l’ACB Paris. Un coup de fil et l’ami Hamid vint frapper à notre porte car il était en concert, à un jet de pierre de notre refuge. Cette soirée simple avait réuni autour d’un feu de cheminée : Beben, Bezbez, Hoho, Bibot, Mohand, Boube, Helena, Violetta, Luiza, Nadir et… Hamid !
Nous nous sommes contentés, comme à l’accoutumée, de refaire la France des couleurs et l’Algérie de Matoub. Cela a duré toute la nuit, en s’interdisant presque de le faire en chantant juste et surtout en bavardant.
« Dans mon cœur il [Matoub Lounès] laisse un vide énorme. J’avais un faible pour lui artistiquement parce que c’était un véritable artiste. Lui et Dahmane El Harrachi m’ont vraiment impressionné par cette facilité à s’exprimer, par cette révolte permanente en eux. L’artiste n’est viable que parce qu’il est révolté, parce qu’il a un besoin, parce qu’il est malheureux et Matoub exprimait vraiment cette douleur et avec beaucoup de talent. Il laisse un vide, bien sûr. D’abord parce qu’il a été le porte-parole d’un certain style de chanson, direct, il appelait un chat un chat. Il laisse un vide parce qu’il était un des rares, et peut-être même l’unique, à pouvoir dire tout haut ce que les gens pensent tout bas. Il laisse un vide parce qu’il exprimait vraiment la révolte de tous les jeunes, existentielle ou culturelle. Ce n’est pas demain la veille qu’on le remplacera. »
(Idir, Actualités et culture berbères, n°29, 1999)
Arezki Sadi est le Président de la Coordination des Associations Berbères pour l’Intégration et la Laïcité