Théâtre

Nulle autre voix de Maïssa Bey au Lavoir Moderne Parisien

La pièce est tirée du roman de Maïssa Bey, Nulle autre voix (L’Aube, 2018). Une femme a tué un homme, son mari. Elle sort de prison, quinze ans après. Cette voix, unique et multiple, dit le cheminement intime, la renaissance par un double mouvement, fait d’introspection et de délivrance, de retour, douloureux, sur le passé et de regards, aussi douloureux, vers l’avenir. Elle raconte, et a peur : « Vers quels abîmes va me mener cette expérience d’écriture »  écrit cette femme magnifique à qui « il arrive encore d’espérer, malgré tout« .

Pas de chichis dans le roman de Maïssa Bey. Aucunes « coquetteries de langage« . L’épure la plus stricte. Un presque huis clos, ou plutôt une introspection, celle que consigne, par écrit, l’ex-détenue, la « criminelle« , la bannie, la réprouvée par la société. Et par sa mère. Depuis sa sortie de prison, elle s’est retirée du monde, et d’elle-même. Enfermée dans une « forteresse mentale« , une solitude devenue un « bien chèrement acquis« .

« J’ai tué un homme. J’ai tué un homme qui »… écrit la « criminelle« , comme pour inscrire cet acte non pas dans un là-bas, lointain et distinct, mais dans un ici, familier et commun.

Maïssa Bey se refuse à recycler l’exotisme bon marché et les bons sentiments qui aguichent et (ré)confortent un lectorat strabique. Dans son roman elle récuse, via son personnage, « ces ingrédients qui font aujourd’hui le succès d’un livre : femme battue, harcèlement moral, et plus largement condition de la femme. Sans oublier quelques scènes de sexe. Décrites sans concessions à la pudeur ». Même le « féminisme » se refuse à l’émotionnel : « Il m’est pénible de donner de moi l’image de cette femme humiliée, terrorisée, tremblante, dans laquelle je ne me reconnais pas aujourd’hui. Je ne veux pas exciter la pitié » écrit son personnage. Et c’est ainsi que Maïssa Bey est grande. Universellement grande.

Il suffit de taper « condamnée+avoir tué son mari » sur un moteur de recherche pour mesurer la force de cette voix et la pertinence de ces réflexions quasi anthropologiques sur la « criminalité féminine« . « Oui, c’est vrai. J’ai commis cet acte de sang-froid. En toute lucidité. C’est à ce moment-là qu’est apparu le sens exact du mot “libération” ». Libérée des mots « Fidélité. Dévouement. Sacrifice. Exemple. Courage« . Libérée d’une fausse morale : « Rien ne peut légitimer ou excuser la violence. C’est ce que je croyais. (…) Désormais, je sais qu’elle est là, tapie en chacun de nous. Elle est contenue, enfermée dans les poings serrés des victimes impuissantes, dans les sursauts de haine et de colère qui balaient en un instant des principes que l’on croit intangibles. (…) Pour moi, la première violence est de s’arroger le droit de disposer de l’autre. Du corps de l’autre. Au nom d’une supériorité légitimée par la naissance, le sexe, l’argent, la position sociale ou encore par des lois humaines ou divines. Reconnue coupable. Sans circonstances atténuantes. Pourquoi n’ai-je aucun remords ?« 

La pièce, adaptée et mise en scène par Kheireddine Lardjam de la  Compagnie El Ajouad (Les Généreux) est ainsi présentée : « Être une femme en Algérie est déjà propice à l’enfermement et au silence. Être une femme condamnée pour avoir ôté la vie d’un homme est au-delà des mots. Un texte sur la violence ordinaire d’une société qui ne pardonne rien aux femmes, sur la violence réelle qu’une femme peut subir dans la honte et la douleur – jusqu’à ce que, parfois, elle commette l’irréparable ».

Du 16 au 20 octobre – Du mercredi au samedi à 21h – le dimanche, à 17h 

Au lavoir moderne parisien, 35 Rue Léon, 75018 Paris – 01 46 06 08 05

Texte Maissa Bey  – Adaptation théâtrale et mise en scène – Kheireddine Lardjam – Avec Linda Chaïb et Salah Gaoua – Création lumière Manu Cottin – Son Thibaut Champagne – Chargée de production Marion Galon – Administratrice de production Célia Kwasniewski – Production compagnie El Ajouad – Coproduction Institut français d’Algérie à Tlemcen.
Avec le soutien du Palais de la Culture de Tlemcen

Maïssa Bey, Nulle autre voix, La Tour-d’Aigues, éd. de L’Aube, 2018, 248 pages, 19,90 €

Pour réserver :

https://lmp-billetterie.mapado.com/event/398297-nulle-autre-voix

Nulle autre voix en Alsace

Le 26 novembre 2024 à 20h30, Nulle autre voix sera joué en Alsace, très exactement au Cheval Blanc, 25 rue Principale à Schiltigheim. Info auprès de la mairie (03.88.83.84.85)

Infos :

https://www.ville-schiltigheim.fr/agenda/nulle-autre-voix-compagnie-el-ajouad/

Lire :

https://www.histoire-immigration.fr/hommes-migrations/article/maissa-bey-nulle-autre-voix