Tarik. Histoire oubliée d’un héros berbère
Que sait-on de Tarik ibn Ziad à part que c’est un Berbère et qu’il a conquis l’Espagne ? À vrai dire rien. Ses origines sont imprécises et les quelques données historiques attestées le concernant de vraies énigmes. Avec son Tarik. Histoire oubliée d’un héros berbère, Saïd Zahraoui répare les silences de l’Histoire.
De Tarik ibn Ziad, on ne sait ni quand ni comment il leva une armée de douze mille guerriers. Et s’il est admis que le gouverneur byzantin de Ceuta mit ses navires à sa disposition pour traverser le détroit, il n’existe aucune indication justifiant un tel geste de confiance et de complicité. Il va de soi que l’élucidation des énigmes de cette sorte se trouve dans la vie du chef berbère d’avant la conquête. Or, là-dessus, l’Histoire écrite est mutique.
Roman historique, l’ouvrage raconte la vie de Tarik ibn Ziad d’avant la conquête de l’Espagne. Ce pan de la vie du chef berbère semble n’avoir jamais fait l’objet d’aucune publication littéraire ou scientifique. Et l’on découvre ainsi, pour la première fois, un Tarik ibn Ziad qui, bien avant l’envahissement de l’Hispanie, était une belle figure de l’Histoire berbère et déjà un héros de premier plan.
Le récit offre de brèves plongées dans l’Espagne des derniers rois wisigoths et les débuts de la persécution des Juifs ; l’Empire romain d’Orient et le califat arabo-musulman des Omeyyades. L’histoire de l’Afrique du Nord a droit aussi à des immersions de même type, à cette différence près qu’on n’en sortira pas sans porter sur cette histoire et ses mythes, tant côté berbère qu’arabe, un regard autre que celui légué par les idéologues coloniaux.
Tarik ibn Ziad, du seul fait qu’il fût à l’origine d’Al-Andalus, est la figure berbère qui aura marqué le plus durablement à la fois l’histoire des Berbères et celle du monde. En témoignent, dès la fin du VIIIe siècle, l’apparition des premiers États berbères de pleine souveraineté, ensuite, à partir du IXe, le rayonnement scientifique d’une civilisation multiculturelle unique dans l’Histoire de l’Humanité, sur une Europe corsetée pendant des siècles encore dans les dogmes asphyxiants de la pensée scolastique.
Or, ce chef berbère, dont Gibraltar perpétue la mémoire, reste un parfait inconnu, sinon, pis encore, un fanatique inculte, frustre, cruel et parfois même d’apparence terrifiante. Comme s’il ne suffisait pas qu’il soit, de fait, ostracisé, les rarissimes écrits épars qui existent à son sujet en ont fait un repoussoir qui n’inciterait à s’intéresser ni au personnage ni à son œuvre. Ce qui laisse pour le moins dubitatif.
On l’a compris : cette fiction, basée sur des faits avérés mais non explicités, est une forme de réhabilitation qui se justifie à maints égards. Said Zahraoui montre un Tarik ibn Ziad déjà au faîte de sa gloire avant même qu’il ne parte à la conquête de l’Espagne, porté par un idéal d’une étonnante modernité et, de surcroît, romantique impénitent.
L’illustration de la couverture est la reproduction d’une huile sur bois signée de Sid Ahmed Chaabane. L’acuité du regard et la sensibilité de l’artiste, le style impressionniste de l’œuvre reflètent l’idée de mémoire : ce moment indéfini où l’on ignore encore si la mémoire « oubliée » est en train de refaire surface ou de s’estomper, pour disparaître à jamais.
Saïd Zahraoui, Tarik. Histoire oubliée d’un héros berbère, l’Harmattan 2024